En 2014, j’ai démarré une rubrique de portraits appelé tout simplement “La Londonienne”. A cette époque, je travaillais chez Paul Smith, dans la mode donc, et toutes mes collègues Anglaises et meilleures copines y étaient passées (Encore merci à Katie, Kerry, Marie – Si vous cliquez sur ces liens gardez bien en tête que 2014 c’était le début du content marketing et que ce n’était pas encore ma spécialité..). Très vite, la rubrique est devenue plus lifestyle et dédiées essentiellement aux Françaises. Les French Londoniennes étaient nées. Ça a bien plu, a tel point que j’ai même lancé une collection “French Londonienne” de T-shirts du même nom, avant de l’arrêter alors qu’elle marchait bien parce que ma conscience écologique m’a stoppé à l’idée de vendre des T-shirts et Pulls qui sont forcément pas écolos (même quand on dit qu’ils le sont – Mais c’est un autre sujet). C’était une très belle aventure que je n’ai peut-être pas assez prise au sérieux..

Bref. Parmi les premières French Londoniennes, en 2015, j’ai rencontré Anissa. Elle m’avait écrit sur Instagram quand je débarquais à Londres. On se suivait un peu, et elle me paraissait être une French Londonienne parfaite: Libérée, fun et pleine de pep’s. Elle a fait partie des premiers portraits via cette interview en 2015.

Pendant nos années londoniennes, c’est celle avec qui j’ai le plus partagé ce fantasme de vie dans le sud. On aimait Londres autant l’une que l’autre mais l’appel de cet art de vivre du sud était souvent très fort. Le dilemne.

8 ans plus tard, on l’a fait. Moi à Toulouse, elle à Marseille. On est toujours amies, et elle inaugure la version retour d’expat des French Londoniennes.

Cette rubrique, ça fait un moment que j’y pense. Le retour d’expat, c’est un vrai sujet dont on ne parle pas du tout. Un vrai choc au système, surtout si c’est peu préparé (comme ce fut mon cas, d’où la lenteur du process). Alors c’est une opportunité de recueillir des points de vue, expériences de retour, de partager des conseils à ceux et celles que ça peut aider, et aussi, prendre le temps d’apprécier la vie londonienne qu’on a vécu et les traces qu’elle nous a laissé.

Plus le temps passe, et plus je pense vraiment qu’on reste londonien.nes à tout jamais.

Bonjour Anissa, peux-tu te présenter en quelques lignes

Je m’appelle Anissa j’ai 35 ans et j’habite à Marseille depuis fin 2021.

La question de la profession est intéressante parce qu’elle nous plonge directement dans un des aspects inhérent à mon retour en France.

Je suis enseignante et j’ai toujours travaillé dans l’éducation à Londres mais mes diplômes étant issus d’universités anglaises, je ne peux pas prétendre à un retour dans les établissements scolaires sauf si je me soumets au concours du CAPES et/ou si j’accepte des contrats précaires de remplacement.

Je tourne donc depuis mon retour autour de l’économie sociale et solidaire ce qui correspond aussi très bien à mon profil et mes valeurs, mais ajoute une charge mentale et une difficulté au retour d’expatriation dans mon cas.

1 – Ta vie Londonienne

Quand as tu vécu à Londres et combien de temps?

J’ai vecu à Londres de 2009 à 2021 et plus précisément de mes 21 à 33 ans. 

Pourquoi es tu partie vivre à Londres?

Émancipation sociale. Même si à l’époque je n’avais pas les termes, j’avais bien réussi à deceler le concept de déterminisme social. Ce voyage vers l’inconnu c’était mon pari pour élargir le champ des possibles. 

Si tu devais résumer ta vie londonienne en quelques lignes?

Emancipation! Une ouverture du champ des possibles incroyable et un accès à des choses qui m’auraient surement echappé. La construction de mon identité seule et loin de mon noyau m’a permis de vraiment m’approprier qui je devenais et faire des choix qui ne m’auraient sinon pas appartenus. Une vie londonienne tellement excitante, pleine de surprises, d’opportunités et de moments hors du temps.

Ce que je chéri le plus de toutes ces années à Londres, ce sont les amitiés avec des personnes aux parcours et origines sociales complètement différents.

2 – Le retour

Pourquoi as tu décidé de partir de Londres?

La décision à commencer à germer dés 2017. C’était la fin de ma vingtaine et j’avais envie de passer à autre chose loin de la mégalopole qui fait tout aller à mille à l’heure. J’avais eu ce que je voulais de Londres (mon émancipation) et j’étais prête pour une nouvelle aventure. C’était après Brexit et après du temps passé entre Londres Calais et Lille en tant que volontaire avec des demandeur.euse.s d’asile.

C’était pas forcément Marseille mais c’était certainement la Méditerranée (Maroc, Liban, Algérie, Italie, Grèce). . Finalement ce sera la pandémie qui aura eu raison de mon retour. Se retrouver seule pendant les confinements successifs m’a certainement permis de remettre les choses à plat et me demander ce que je voulais vraiment pour la suite.

Comment as tu vécu les premiers mois de ton retour?

Sur le plan personnel, lune de miel totale! Je dirais même toute la premiere année. J’ai passé trois mois chez ma mère à 40kms de Marseille – idéal pour recommencer à vivre calmement près de la mer et autour de mes proches tout en apprivoisant Marseille à mon rythme. J’ai adoré emmenagé à Marseille et découvrir cette ville en tant qu’adulte qui était la grande ville de mon enfance et ma jeunesse. Re tisser un cercle social est une aventure vraiment interessante passé 30 ans et j’ai adoré l’exercice.

Y a t-il des éléments / moments qui ont été particulièrement difficiles?

L’ancrage a été bien plus difficile sur le plan professionnel. Même si j’ai trouvé un emploi rapidement, j’ai eu (et j’ai surement encore) du mal à m’adapter au travail en entreprise à la française. Les modes de collaboration, les objectifs fixés, la hierarchie, le protocole, la collegialité sont différents de ce qui a forgé mon identité professionnelle dans le monde du travail anglo saxon. Sans dire que l’un ou l’autre est mieux, l’experience reste un défi.

Je pense que ces difficultés sont particulièrement calibrées sur mon expérience de travail dans le service public. Peut-être que le tout aurait été moins difficile si j’étais issue du monde du travail privé.

3 – La vie depuis

2 ans après, qu’est-ce qui te manque encore de Londres?

  • Je suis un peu nostalgique de mon métier même si gràce á un état d’esprit bien anglais j’arrive à imaginer d’autres possibles avec mes compétences et mon parcours. D’ailleurs je crois qu’il me manque beaucoup cet état d’esprit qui permet de toujours envisager le possible plutôt que de s’enfermer dans des choses qui n’existent plus et qui retiennent l’esprit au ralenti plutôt que de transformer l’occasion en opportunité.
  • En tant que femme, le sentiment de liberté et de sécurité dans la rue- La France est le premier pays du monde à verbaliser le harcelement de rue et ca ne devrait pas être une fierté c’est aussi parce que c’est un endroit ou c’est particulièrement difficile pour les femmes d’exister dans la rue.
  • Le débat public sur des questions de société comme le racisme, la santé mentale, le sexisme et le handicap. Je trouve qu’on est à des années lumière ici et on ne fait même pas semblant d’avancer avec son temps. Au quotidien j’entends des choses qui me donnent l’impression d’être au moins 10 ans (voire plus) en arrière. 
  • Le monde du travail efficace, pragmatique et sa culture du feedback positif. L’accueil de l’ambition comme une qualité et pas comme une menace. Les opportunités du monde du travail. 
  • La fête et particulièrement les gens qui dansent avec liberté – trop souvent ici je vois des personnes qui dansent timidement et passent leur soirée à discuter. C’est dans les fêtes underground depuis mon retour que je retrouve vraiment la joie de la fête. 
  • Le style des gens complètement décomplexé et libre. 

Et qu’est-ce qui ne te manque pas? 

  • Sans surprise, la grisaille et la pluie!
  • La difficulté d’accéder à des soins et de prendre soin de sa santé (sauf pour la santé mentale pour laquelle je trouve que la prise en charge est moins chère voire totalement subventionnée, plus à jour, plus compléte et moins taboo à Londres).
  • Mais aussi la vie à mille à l’heure, la vie trop chère, les allers retours en avion, le sentiment d’être loin de mes proches et de la mer.

Quelle est ta relation avec Londres depuis?

J’adore y retourner voir mes ami.e.s mais aussi y faire la fête et retrouver une certaine liberté vestimentaire.

Néanmoins, chaque retour depuis a pu confirmer et me conforter dans mon choix d’être rentrée. Je continue d’adorer cette ville mais je suis passée à une étape différente de ma vie et je suis contente de ne plus y vivre.

Si tu devais résumer ta vie à Marseille depuis le retour?

En bref, grand bonheur et soulagement que depuis mon retour je m’y sente bien. Personne n’est à l’abri de faire un choix qui finalement ne marche pas. J’ai trouvé exactement ce que je suis venue chercher notamment un changement de paradigme dans mes priorités. Ma vie personnelle dépasse largement la course à la carrière même si je continue à avoir des ambitions et des projets pro. Honnêtement, la vie est vraiment moins pénible au soleil.

Londres, j’étais pas sûre d’y rester toute la vie, donc je me suis retenue pendant des années de me lancer sur certains projets de vie. Depuis mon retour j’ai pu lancer ces projets et ça donne certainement un nouveau souffle à ma vie. C’est une autre et nouvelle vie ici et j’essaie le plus possible de sortir de la comparaison Londres Marseille même si c’est pas toujours facile.

J’ai trouvé une ville qui me ressemble ou je ne m’ennuie pas. Marseille reste une grande ville qui me stimule notamment parce que l’offre culturelle est large et de qualité, mais je reste à un TER de ma ville natale et j’adore pouvoir m’y ressourcer et y être au calme avec mes proches.

La vie en France pour moi c’est 100% Marseille ou rien. Si je dois partir à nouveau ce sera certainement pour une nouvelle aventure à l’étranger.

Quels conseils donnerais tu à quelqu’un pour son retour en France?

Pour le coté pratique de celles et ceux qui comme moi sont partis longtemps, j’interpelle sur les formalités administratives. Perso, j’étais très bien préparée et donc tout est rentré dans l’ordre assez rapidement. Ne pas s’y préparer peut apporter une charge mentale importante et une frustration énorme.

Pour le côté pro c’est propre à chacun et au secteur dans lequel on évolue. Mon retour d’expérience est particulier parce que je n’avais jamais travaillé en France avant l’expatriation (sauf des petits boulots) donc je découvrais des façons d’être et faire au travail très différentes. Préparez-vous à ça et commencez à explorer le marché du travail selon votre secteur géographique.

Pour le côté perso, c’est aussi propre à chacun mais moi j’ai besoin d’être entourée et de continuer à partager des choses avec des expats ou des ex expats. Même si j’ai aussi réussi à créer des relations avec des personnes d’ici, ces moments avec les expats et les ex expats me permettent de garder mon expérience d’expat vivante et réelle.

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